Abdelmajid El Houssi

Hommage dans notre Bulletin n° 11
L’ami Majid nous a quittés…

par Paul Balta, Mansour Hadifi, Roland Laffitte, Naïma Lefkir-Laffitte,

 Antoine Lonnet, Arnaud Sérandour & Mohammad Hafidh Yakoub.

Après une très longue maladie qui l’affaiblissait toujours davantage et le torturait d’une souffrance chaque jour plus insupportable, l’ami Majid nous a quittés. L’image que nous garderons de lui sera celle d’un prince des Deux Rives.

Né en 1941 à Boumerdès, en Tunisie, il était promis à poursuivre ses études supérieures en Europe après avoir fait des études à Aïn Draham où il vécut l’indépendance de son pays. Mais le bombardement de Bizerte par les Français fit subir un tournant brusque à son destin : au lieu de venir en France pour devenir ingénieur, il débarqua en Italie où il poursuivit des études littéraires, s’installa, fonda une famille et devint professeur de linguistique française.

Majid balaya, au cours de son enseignement dans les universités italiennes comme Padoue, Ancône et Venise, le champ des œuvres des voyageurs européens qui visitèrent le Maghreb, tels Flaubert, Dumas ou Maupassant, mais consacra aussi ses efforts aux auteurs maghrébins d’expression française dont il connaissait la plupart personnellement, de Jean Amrouche à Abdelwahab Meddeb, en passant par Kateb Yacine, Mouloud Mammeri, Tahar Djaout, Emmanuel Roblès, Tahar Ben Jelloun et Albert Memmi.

Le fil intime qui fournit la trame de cette œuvre professionnelle riche, au croisement de chemins contradictoires, se nou dans son installation à Padoue. Cette ville, que l’annexion par la Sérénissime soumit aux influences d’Orient, garde la mémoire d’une faculté de médecine forte des trésors helléniques et orientaux transmis par les Arabes qui brilla sur l’Europe du Quattrocento. C’est ce fil intime qui tisse l’œuvre littéraire de Majid. Il maestro ou il professore, comme il était nommé avec respect et sympathie dans les rues de sa cité, sera d’ailleurs parti avec un regret, celui de n’avoir pu voir la publication de sa dernière œuvre, L’avenir roule vers sa source. Mais nous tous avons aimé Une journée à Palerme (2004), où il met en scène la rencontre entre le jeune homme qu’il était, lorsque, quittant son pays natal en 1962, il fit halte à Palerme, et l’érudit du xie siècle Muḥammad Ibn al-Qaṭṭāc, qui le guide à la découverte des merveilles de cette cité se mêlent, dans une admiration réciproque, les civilisations grecque, arabe et européenne médiévale, notamment sous la dynastie normande des Hauteville, de Roger à Frédéric et évoque les grands personnages qui l’ont animée. Et nous y découvrons le secret de l’homme qu’il est devenu : bien campé dans ses racines arabes et islamiques, il tomba amoureux de cette Europe ouverte et généreuse, de sa littérature, sa peinture et son humanisme, elle qui fit de lui, à Padoue et Venise qui l’ont imprégné de leur magie, un véritable personnage du Quattrocento.

C’est la voie sicilienne et plus généralement italienne de l’influence sous-estimée de la civilisation arabe et islamique que l’ami Majid a mis en valeur dans sa contribution à SELEFA. Son ouvrage, Les Arabismes dans la langue française du Moyen Âge à nos jours (2001), faisait de façon très utile connaître l’immense travail fait par des linguistes comme Caracausi, Pellegrini et Rohlfs, ainsi que des historiens comme Amari. Sa publication fut l’occasion, dès la naissance de SELEFA, d’un contact qui se traduisit aussitôt par une collaboration  constante et féconde, et entraîna très rapidement sa participation à la rédaction du Bulletin.

C’est aussi ce besoin de tisser un lien étroit entre les Deux Rives qui fit de lui un artisan ardent de la coopération universitaire entre la Tunisie et l’Italie, et mena, en pleine coopération avec SELEFA, à la proposition faite en novembre 2004 – bien reçue mais non encore mise en œuvre –, de créer, à l’université de Tunis, une Chaire des langues méditerranéennes. Il s’agissait, dans son esprit, de mettre en lumière les échanges linguistiques transmé­diterranéens et d’allier l’étude des langues classiques nées en Europe, le grec et le latin, à celle des langues des Rives méridionale et orientale, en particulier les langues sémitiques qui englobent l’arabe dans leur famille, dans leur contexte civilisationnel respectif. Nous avons fait nôtre cette perspective qui n’est pas seulement le fruit d’un rêve grandiose. Plus profon-dément, elle correspond à un besoin des peuples des Deux Rives de ressaisir leur histoire commune et de mesurer l’originalité de leurs parcours propres pour penser leur avenir commun. Puisse le souvenir de Majid nous insuffler l’énergie de contribuer à traduire cette perspective dans les faits !

* Voir cet hommage accompagné du dernier article de notre ami Majid consacré aux langues d’Europe.

Soirée d’hommage du mardi 6 novembre 2008 à Paris

Suite au souhait exprimé par les participants de notre soirée du 28 juin 2008, SELEFA et la Libraire Ishtar ont organisé le jeudi 6 novembre un hommage à notre regretté ami Abdelmajid El Houssi, décédé en mai 2008.

Pour introduire la soirée, Mohamed Abeid a lu le dernier texte de notre ami, un poème émouvant consacré aux affres de sa longue et douloureuse agonie.

La première partie fut consacrée à des témoignages. Ont successivement pris la parole pour évoquer le collègue, surtout l’ami et l’être cher, Roland Laffitte, Charles Bonn, Leila El Houssi, Faouzia Zouari, Salah Guemriche, par des lettres de leur part, Lucienne Saada et Carmen Licari, respectivement lues par Fatiha Faouzi et Roland Laffitte, ainsi que le journaliste  Rafik Darradi. Se dégageait de ces témoignages la belle figure d’un passionné de la littérature des voyageurs européens qui ont parcouru la rive sud de la Méditerranée ; d’un homme attaché à faire connaitre en Italie les écrivains maghrébins d’expression française pour qui il a montré une générosité appréciée dans ce que l’un d’entre eux a appelé son « auberge italienne » ; enfin d’un professeur soucieux de coopération universitaire entre le pays de son âge mûr et celui de sa jeunesse, d’un amoureux des langues et des mots, ce qui le conduisit à s’impliquer entièrement dans l’aventure de SELEFA.

La seconde partie fut dédiée à l’œuvre littéraire de l’ami Majid à qui nous devons poèmes, récits et romans. Kamila Sefta lut un extrait de Une journée à Palerme, Mohamed Abeid nous présenta, en duo avec Leila El Houssi, un long passage du poème Le lendemain à l’aube, et nous devons à Salah Guemriche d’avoir levé le voile sur un texte inédit, L’avenir roule vers sa source.

L’accompagnement musical de Hafed Bidari au goumbri et Mohamed Abeid au balafon a contribué à donner à cette soirée un caractère familial et chaleureux.

Ce compte rendu est repris du Bulletin de la SELEFA n° 12, 2ème semestre 2008, p. 32.

Courrier au sujet de Majid :

* le compte rendu de la soirée du 6 novembre par Rafik Darragi dans La Presse, Tunisie :

http://www.lapresse.tn/index.php?opt=15&categ=15&news=83097

* l’hommage rendu à notre ami par les collègues de l’université de Bologne :

http://www2.lingue.unibo.it/francofone/hommage_Houssi.htm